Anne Sylvestre est née à Lyon en 1934, d’un père bourguignon et d’une mère alsacienne. Première fille après deux garçons, sa naissance fut très bien accueillie, et elle n’a jamais par la suite regretté d’être née femme. Pas plus d’ailleurs que sa jeune sœur, la romancière Marie Chaix.
« Ma mère était un peu sorcière, et mon père était alchimiste, alors ça vous explique ! »
Après une enfance à Tassin-la-Demi-Lune (près de Lyon) et une adolescence à Suresnes (dans la banlieue parisienne) elle suit sa famille à Paris.
« Je passerai très vite sur ma préhistoire, j’étais très bonne à l’école, j’avais le prix d’excellence tous les ans ce n’était pas drôle. Ça s’est gâté par la suite, quand on m’a prêté une guitare et que j’ai fait des chansons au lieu de traduire Virgile. J’ai commencé à chanter dans les cabarets, Virgile, non. »
Dans un même temps, elle découvrit la mer, la voile avec le Club des Glénans, où chantant à la veillée elle trouva son premier public.
« Elle nous bouscule un peu. Son regard jeté sur notre temps nous aide à ouvrir les yeux. C’est tendre quand il le faut, aussi. » (Nicole Mauvoisin, 1986)
En novembre 1957, Michel Valette l’auditionna au cabaret La Colombe et l’engagea aussitôt, pour donner quelques chan- sons en début de soirée, sur le tabouret légendaire qui fut sa première scène (et qui connut de très près Guy Béart, Pierre Perret, Jean Ferrat, Hélène Martin et bien d’autres !)
Ont suivi… 60 ans d’une carrière sans interruption, jalonnés de nombreuses chansons, de spectacles, de voyages, de rencontres, de belles récoltes et de déserts, d’abandons et de fidélités, d’engagements aussi, et surtout du bonheur d’écrire et de chanter.
Productrice, elle a à son actif une vingtaine d’albums, sans compter les dix-huit albums de Fabulettes destinés aux enfants.
« Toutes ses paroles font sourire, réfléchir, s’attendrir et souvent les trois à la fois.
Avec légèreté mais aussi lucidité, sur un ton goguenard mais qui n’exclut jamais la tendresse ou la poésie, elle réussit à aborder tous les aspects de la vie d’aujourd’hui, celle des femmes surtout […]
Et elle en dit parfois autant en quelques lignes sur nos angoisses, nos nostalgies ou nos enthousiasmes que bien des savantes analyses. » (Benoîte Groult, 1985)
Anne
ou
Ma sœur est une sorcière
Je suis assise dans le noir de la salle, elle entre en scène. Le sourire, les yeux, la guitare. Elle commence à chanter. Moi, j’ai le cœur qui bat fou et cette impression bizarre : c’est aussi moi qui suis là-bas, en train de chanter, sous les projecteurs. Sa voix, ses mots me sortiraient presque du gosier. C’est tout juste si je ne salue pas à la fin de la chanson.
Il s’en est fallu de peu. A quelques années, quelques hasards près, si ç’avait été moi, ç’aurait été la même ! Une biographie dit qu’elle est née en 1934 d’un père bourguignon et d’une mère alsacienne. Pour moi, ce sont exactement les mêmes parents. Huit ans plus tard, c’est la seule différence. Ensuite, il est écrit qu’elle eut une enfance calme dans une maison avec un jardin et des arbres à Tassin-La-Demi-Lune mais qu’en 1942… C’est là que j’interviens. Fini le calme. Pas seulement à cause de moi, il faut être juste. D’autres événements historiques s’en mêlèrent dont j’ai assez parlé et même écrit. N’empêche que je la connais depuis 1942 et que ça fait donc un bail.
Au début, elle m’a tout appris : à parler, à lire, à chanter (une torture), à trouver des billes dans les caniveaux, dans les allées, à aimer la musique, Paris, les forêts, la littérature, bref, à me tenir droite. Quelle chance j’ai eue d’être la petite avec elle comme grande ! Ses premières chansons ? J’avais à peine quinze ans, je fus son premier public, ému et enthousiaste. On s’enfermait dans la salle de bains, là où les voisins entendaient le moins.
Après… après, il y eut beaucoup d’années, beaucoup de chansons, plus de deux cents, des Lazare, des Grégoire, des Philomène, des Jules, des Clémence et aussi des pierres dans son jardin, des cœurs sur les bras et des murs pour pleurer…
Mais toujours, heureusement, des rendez-vous dans des salles noires et cette impression si étrange… Ce que je veux dire, c’est que, sans cette Sorcière, ses huit ans d’avance et les mots de ses chansons, je n’aurais sûrement jamais trouvé les mots pour écrire mes histoires.
Marie Chaix, 1986